Metro : Last Light fait suite à Metro 2033, un FPS original déployant un univers post-apocalyptique dans - vous l'aurez compris - un métro. Les jeux s'inspirent eux-même d'un roman russe, transposé au format vidéoludique par une équipe talentueuse et extrêmement combative, qui a su survivre à la chute de THQ et à des conditions de travail toutes aussi post-apocalyptiques que le jeu lui-même dans un espace aussi grand qu'un placard à balai, équipé d'un chauffage au fonctionnement épisodique. Un peu de recontextualisation ne fait pas de mal.

 

Le jeu nous laisse incarner Artyom, l'un des rares survivants d'un holocauste nucléaire qui a réduit Moscou en cendres. Le jeune homme fait partie des quelques dizaines de milliers de personnes qui ont pris refuge dans les lignes de métro le jour du désastre, échappant à une déflagration fatale pour une vie condamnée à l'obscurité. Dans le métro, la vie tente de renaître, les hommes s'organisent pour construire des villes sur le ruines dans anciennes stations. L'hiver nucléaire est néanmoins sans cesse rappelé aux habitants de la nouvelle société : les vivres sont rares et contaminés, les bidonvilles s'entassent dans les couloirs sombres des structures souterraines, le banditisme prospère et la rouble n'est plus, les munitions d'armes font désormais figure de monnaie, ce qui laissera à Artyom un choix parfois difficile à faire dans un monde corrompu autant par les hommes que par les monstres nés de l'apocalypse. Humidité, froid, insécurité et ténèbres sont les sanctions prononcées contre une société arrogante, enfermée dans une prison de béton et de fer où la lumière ne transperce jamais. Les radiations qui imbibent la surface interdisent sans concessions le repeuplement de la capitale moribonde.

 

La belle Anna, qui nous accompagne en début de partie, nous dit du métro que ses enfants ne sauront plus le faire fonctionner, et que ses petits-enfants croiront qu'il est un vestige des dieux. Le cadre est posé, soulevant quelques interrogations quant à la survie de l'espèce humaine et à la continuité de la civilisation. Les allées du métro déploient à merveille l'exercice de la dystopie, particulièrement lors des (courtes) traversées des quelques agglomérations de fortune, qui décrivent la difficile reconstruction d'un espace social. En proie aux difficultés sanitaires, techniques et alimentaires, confronté à la menace éprouvante des mutants, la nature humaine conserve néanmoins son infatigable appétit, insensible aux radiations : les luttes de pouvoir résonnent dans le métro, par le verbe comme par le fusil, pour la domination des souterrains grotesques et décadents de la cité moscovite. Le scénario se laisse correctement suivre, mais il y manque néanmoins quelques développements, notamment concernant les Sombres, et peut-être un peu d'épaisseur aussi. La fin est, par contre, horriblement pourrie.Metro : Last Light est en fait et surtout un de ces FPS à ambiance, comme Bioshock, qui savent distiller une atmosphère particulière par une direction artistique flamboyante d'inspiration.

 

Si le jeu est agréable à parcourir, son gameplay laisse, cela dit, un sentiment plutôt mitigé. Il a le mérite d'apporter des rectifications majeures en terme d'infiltration, difficilement praticable dans Metro 2033. Couteaux de lancer, lunettes de vision nocturne, possibilité d'assommer un garde, extinction des lumières, le jeu pousse à la dissimulation bien plus que son prédécesseur. Cependant, l'intelligence artificielle est tellement misérable qu'elle vient anéantir toute forme de difficulté (j'ai joué en difficile). Incapables de voir à 2m pour peu que l'on soit placé dans une zone indiquée comme ombragée (et les développeurs ont une conception particulièrement extensive de la zone ombragée), sourds comme des pots, bien souvent inertes lorsque l'on fait exploser des ampoules au dessus d'eux, le jeu est une balade de santé au royaume des débiles. Inutile de jouer bourrin avec des armes qui manquent de toute façon de sensations et de risquer un chain de game over alors que le nettoyage en douceur et en silence de la salle est nettement plus efficace. Qui dit discrétion, dit aussi économies de balles, et anéantissement de la dimension Survival que les développeurs souhaitaient coller au jeu. Idem pour les réserves d'oxygène finalement, qui tombent en abondance, et dont je n'ai jamais manquées (sauf une fois au début). Dommage. Les scènes de solitude alimentées par des compositions musicales pesantes perdent aussi en fréquence et en intensité par rapport à 2033. La surpuissance d'Artyom en infiltration combinée à la violente stupidité des adversaires inhibe complètement la pression et le sentiment d'insécurité qui collait aux rames de métro du prédécesseur. Finalement, on se demande si 4A Games n'a pas déplacé le centre de gravité de la peur, du joueur aux ennemis. Ce n'est plus le possesseur de la manette qui gesticule avec son stick pour déceler la moindre trace de danger, mais plutôt les adversaires, paniqués par la présence d'un corps ou le fracas d'un bruit un peu trop marqué, si tant est qu'ils les remarquent. L'ambiance oppressante y perd en consistance. Le jeu décèle néanmoins quelques bonnes idées, notamment l'utilisation du jeu d'ombres et de lumières : utilisé dans la narration et l'édification de l'univers (la lumière du soleil brûle, l'ombre du métro protège), il trouve une déclinaison ludique adaptée au style infiltration qui épouse le level-design obscur et cassé caractéristique des couloirs avachis du métro, mais gêné par le problème d'IA préalablement mentionné. Il s'épanouit également au travers des rares séquences solitaires qui repositionnent le centre de gravité de la peur sur le joueur, lorsque Artyom pénètre dans les nids des mutants, plongés dans un noir d'encre, qui nécessitent alors l'usage de la lape torche pour affaiblir des ennemis craintifs face à la lumière. Malgré les faiblesses évidentes du gameplay, j'ai pris du plaisir à canarder du monstre et à égorger du néo-fasciste post-apo des souterrains. Dégommer du bestiau sur la Place Rouge au pied d'une cathédrale Saint-Basile délaissée et d'un Kremlin effondré, il faut dire que ça a son charme.

 

Metro : Last Light est un jeu plein de bonnes intentions, qui apporte quelques modifications importantes par rapport à 2033 mais accompagnées d'un lot non-négligeable de mauvaises surprises. Cela étant, il dispose d'une âme extrêmement présente, qui fait terriblement défaut à bon nombre de FPS actuels, et qui suffit en fin de compte, à mon sens, à le rendre plus intéressant. Des défauts de gameplay, une fin moisie, un scénar qui aurait gagné à aller plus loin, mais un potentiel énorme stimulé par une atmosphère incroyable, un univers réussi et une direction artistique fantastique. En bénéficiant de conditions de travail décentes, et en corrigeant les quelques erreurs de parcours qui parsèment les deux Metro, je suis convaincu que les développeurs de 4A Games pourraient faire de leur saga une pièce maîtresse du FPS, un standard du jeu de shoot qui combinerait une expérience narrative saisissante avec un gameplay abouti à la frontière du Survival-Horror et du FPS (et pourquoi pas de l'exploration, s'ils décident de décloisonner le level-design). J'ai hâte de voir le prochain opus.